Les Biais Cognitifs : Comment votre cerveau vous piège
- carolinempiret
- 12 juil.
- 8 min de lecture

Les biais cognitifs représentent bien plus qu'une simple liste de quatre ou cinq erreurs de jugement. Daniel Kahneman, prix Nobel d'économie, et Amos Tversky ont ouvert la voie à l'identification de plus de 180 biais cognitifs distincts. Aujourd'hui, nous allons explorer les principales catégories de biais et leurs impacts sur notre vie quotidienne et professionnelle. Comprendre leur fonctionnement est une première étape pour en atténuer les effets.
En effet, notre cerveau, qui ne représente que 2% de notre masse corporelle, consomme environ 20% de notre énergie. Pour économiser cette précieuse ressource, il utilise des raccourcis mentaux - nos fameux biais cognitifs.
Les quatre grandes familles de biais
1. Comment nous nous souvenons
Le biais de récence
Définition : C'est la tendance naturelle de notre cerveau à donner plus de poids et d'importance aux événements récents dans notre prise de décision, au détriment d'expériences plus anciennes mais potentiellement plus pertinentes. Notre cerveau suppose que ce qui vient d'arriver est plus représentatif de la réalité.
Exemple : Après avoir vu un reportage sur un accident d'avion, vous estimez soudainement que prendre l'avion est très dangereux, oubliant que c'est statistiquement le moyen de transport le plus sûr. Ou encore, un investisseur qui base ses décisions uniquement sur les performances récentes d'une action, ignorant son historique à long terme.
Pour contrebalancer cet effet, une évaluation objective et continue sur la durée est essentielle.
Le biais de disponibilité
Définition : C'est notre tendance à surestimer la probabilité d'événements dont nous nous souvenons facilement, particulièrement ceux qui sont émotionnellement marquants ou largement médiatisés. Plus une information est facilement accessible dans notre mémoire, plus nous pensons qu'elle est fréquente ou importante.
Exemple : Vous pensez que les attaques de requins sont fréquentes car les médias en parlent beaucoup, alors qu'elles ne causent que 5 à 10 décès par an dans le monde. De même, après une série de reportages sur des cambriolages dans votre région, vous estimez que le risque est beaucoup plus élevé qu'il ne l'est réellement.
La solution ? S’appuyer sur des données objectives plutôt que sur des impressions ou souvenirs anecdotiques.
L'effet de primauté
Définition : C'est le phénomène par lequel les premières informations que nous recevons sur une personne, une situation ou un concept créent un filtre à travers lequel nous interprétons toutes les informations suivantes. Notre cerveau établit rapidement un "cadre de référence" qui influence durablement notre jugement.
Exemple : Lors d'un entretien d'embauche, les premières minutes sont déterminantes. Une étude de Yale montre que 80% des recruteurs se font une opinion définitive dans les 4 premières minutes. Si un candidat fait une excellente première impression mais commet quelques erreurs par la suite, il sera jugé plus favorablement qu'un candidat qui débute mal mais s'améliore.
Pour minimiser ces effets, il est important de collecter un maximum d’informations avant de se prononcer et de ne pas se laisser happer par les éléments initiaux.
2. Comment nous interagissons
L'effet de groupe
Définition : C'est le processus psychologique par lequel notre comportement, nos croyances et nos attitudes changent pour s'aligner sur ceux du groupe auquel nous appartenons ou souhaitons appartenir. Ce phénomène implique souvent une modification inconsciente de notre jugement pour éviter le conflit social ou l'exclusion.
Exemple : La célèbre expérience de Asch (1951) montre que 37% des participants donnent une mauvaise réponse évidente pour ne pas contredire le groupe. Dans un contexte professionnel, vous pourriez vous abstenir de signaler un problème évident dans un projet si personne d'autre ne semble s'en inquiéter.
Faire un pas de côté, confronter plusieurs points de vue et s'entraîner à formuler son propre avis permet de limiter l'influence du groupe.
Le conformisme
Définition : C'est un mécanisme d'adaptation sociale qui nous pousse à modifier nos comportements, attitudes et croyances pour les rendre conformes aux normes du groupe, même lorsque ces changements vont à l'encontre de nos convictions personnelles. Il se distingue de l'effet de groupe par son caractère plus durable et son intégration plus profonde dans notre comportement.
Exemple : Vous commandez le même plat que vos collègues au restaurant, même si vous aviez envie d'autre chose. Ou encore, vous adoptez un style vestimentaire particulier non pas parce qu'il vous plaît, mais parce qu'il correspond aux codes de votre milieu professionnel.
Oser exprimer un avis divergent, tout en respectant les autres, est une manière de résister à ce biais.
Le biais de stéréotype
Définition : C'est notre tendance à attribuer automatiquement certaines caractéristiques à une personne sur la base de son appartenance à un groupe particulier (âge, genre, origine, profession...), en ignorant les variations individuelles et les nuances. Ce biais simplifie notre perception sociale mais conduit souvent à des jugements erronés et injustes.
Exemple : Supposer qu'un développeur senior est nécessairement meilleur qu'un jeune développeur, qu'une personne extravertie fera automatiquement un meilleur manager, qu'un candidat plus âgé aura des difficultés avec les nouvelles technologies.
Réduire cet effet passe par une attention volontaire aux faits, une remise en question régulière de ses jugements automatiques et une ouverture réelle aux singularités individuelles.
3. Comment nous réfléchissons
Le biais de confirmation
Définition : C'est notre tendance systématique à rechercher, interpréter et mémoriser les informations qui confirment nos croyances préexistantes, tout en ignorant ou dévalorisant celles qui les contredisent. Ce biais agit comme un filtre sélectif qui renforce nos convictions et peut nous empêcher de voir la réalité dans sa complexité.
Exemple : Si vous pensez que le café est mauvais pour la santé, vous ne retiendrez que les articles qui vont dans ce sens et ignorerez les études montrant ses bénéfices. Dans le management, vous pourriez inconsciemment noter plus sévèrement un employé dont vous avez une opinion négative, renforçant ainsi votre jugement initial.
Pour y remédier, il est utile de se poser la question suivante : « Et si j’avais tort ? ». Confronter ses idées à des perspectives opposées, même inconfortables, enrichit la prise de décision et aide à nuancer les jugements.
L'effet Dunning-Kruger
Définition : C'est un biais cognitif selon lequel les personnes les moins compétentes dans un domaine surestiment leurs capacités, tandis que les plus compétentes ont tendance à sous-estimer les leurs. Ce phénomène s'explique par le fait que les novices manquent de métacognition, c'est-à-dire la capacité à évaluer leurs propres compétences.
Exemple : Après deux cours de guitare, vous pensez pouvoir jouer en concert dans six mois. À l'inverse, un guitariste professionnel pourrait douter de sa capacité à donner un concert malgré des années d'expérience.
Cet effet peut être réduit en favorisant un apprentissage continu et en sollicitant des retours constructifs de la part de pairs ou mentors.
Le biais de cadrage
Définition : C'est la tendance à réagir différemment à une même information selon la manière dont elle est présentée. Notre jugement est influencé par le contexte et la formulation plutôt que par le contenu réel.
Exemple : Une étude montre que les médecins choisissent différemment entre deux traitements selon qu'on présente les statistiques en termes de "taux de survie" (80% de survie) ou de "taux de mortalité" (20% de décès), bien que l'information soit identique.
Pour le déjouer, demandez-vous : " Comment réagirais-je si c'était présenté autrement ? ". Rechercher les informations brutes plutôt que leur interprétation.
Le biais de projection
Définition : C'est notre tendance à projeter nos propres pensées, motivations et préférences sur les autres, en supposant qu'ils pensent et réagissent comme nous.
Exemple : Un manager passionné par les chiffres suppose que tous ses employés sont motivés par les statistiques de performance, alors que certains sont plus sensibles à la reconnaissance verbale.
Pour le contourner, posez des questions ouvertes plutôt que de supposer, recherchez activement des points de vue différents et pratiquez l'écoute active sans interpréter.
4. Comment nous jugeons
L'effet de halo
Définition : C'est notre tendance à étendre une caractéristique positive ou négative d'une personne ou d'une chose à l'ensemble de ses autres caractéristiques. Ce biais nous amène à former une impression globale à partir d'un seul trait saillant, influençant ainsi l'ensemble de notre perception.
Exemple : Vous jugez qu'une personne attractive est automatiquement plus compétente (une étude montre que les personnes attractives gagnent en moyenne 12% de plus). Dans le contexte professionnel, un employé excellent dans un domaine pourrait être considéré comme compétent dans tous les aspects de son travail, même sans preuve.
Limiter cet effet demande un effort de dissociation : évaluer chaque aspect de manière distincte et s’appuyer sur des critères concrets plutôt que sur une impression générale.
Le biais d'association
Définition : Il s'agit d'un biais nous amenant à établir des liens de causalité entre des événements simplement parce qu'ils se produisent ensemble ou se succèdent, même en l'absence de relation réelle.
Exemple : Croire qu'une tenue porte bonheur parce qu'on a réussi un entretien en la portant, ou qu'un collaborateur est inefficace parce que les projets qu'on lui confie échouent (alors que ce sont peut-être les projets les plus difficiles).
Rechercher systématiquement des contre-exemples peut être un moyen simple de s'en éloigner, en analysant les relations causales de manière rigoureuse et en documentant les coïncidences pour repérer les vraies corrélations.
L'effet de contraste
Définition : Via ce biais, il est question de percevoir et juger les choses non pas de manière absolue, mais en comparaison avec d'autres éléments ou avec le contexte immédiat.
Exemple : Un candidat moyen paraît excellent s'il passe son entretien après plusieurs mauvais candidats, ou un prix semble plus abordable juste après avoir vu un produit beaucoup plus cher.
Afin de ne pas se laisser piéger, il peut être utile d'établir des critères d'évaluation absolus avant de commencer, d'espacer les comparaisons dans le temps et/ou d'utiliser des grilles d'évaluation standardisées.
5. Nouveaux biais à surveiller
Le biais du survivant
Définition : Tendance à se concentrer uniquement sur les personnes ou les choses qui ont passé avec succès un processus de sélection, ignorant celles qui ont échoué, ce qui conduit à des conclusions trompeuses.
Exemple : Se focaliser sur les entrepreneurs à succès qui ont quitté l'université (comme Mark Zuckerberg), en oubliant les millions qui ont échoué dans la même situation.
Atténuer ce biais suppose de prendre en compte l’ensemble des données, y compris les cas invisibles ou oubliés, pour tirer des conclusions plus justes et représentatives.
L'effet de l'engagement
Définition : Tendance à persister dans une action ou une décision, même lorsqu'elle s'avère clairement inadaptée, simplement parce que nous y avons déjà investi du temps, de l'énergie ou des ressources.
Exemple : Continuer à développer un projet qui ne fonctionne pas parce que "on a déjà tellement investi dedans". Ou continuer d'attendre son bus "parce qu'on a déjà perdu 15 minutes à l'attendre, et que ce n'est pas pour rien"...
Pour en limiter l’impact, il est essentiel de réévaluer régulièrement la situation à la lumière des faits actuels, sans laisser le passé dicter les choix présents.
Le biais du statu quo
Définition : Préférence irrationnelle pour la situation actuelle, même lorsque des alternatives plus avantageuses sont disponibles.
Exemple : Garder le même fournisseur malgré des prix plus élevés, simplement par habitude.
Sortir de cette inertie demande de remettre régulièrement en question ses habitudes et d’oser envisager le changement comme une opportunité, non comme une menace.
Cas pratiques en entreprise
Situation 1 : La réunion inefficace
Un manager continue d'organiser une réunion hebdomadaire que tout le monde trouve improductive. Biais en jeu :
Effet de l'engagement ("On l'a toujours fait comme ça")
Biais du statu quo
Conformisme (personne n'ose le dire)
Situation 2 : Le recrutement biaisé
Une équipe rejette systématiquement les candidats d'un certain profil. Biais en jeu :
Effet de halo
Biais de confirmation
Stéréotypes
Comment déjouer ces biais ?
La pause réflexive : Prenez 10 secondes avant chaque décision importante. Demandez-vous : "Sur quoi je base vraiment ma décision ?"
La règle des 3 sources : Avant de vous forger une opinion, consultez au moins 3 sources différentes, idéalement contradictoires.
Le journal des décisions : Notez vos décisions importantes et leurs résultats. Relisez-le régulièrement pour identifier vos schémas de pensée.
L'avocat du diable : Pour chaque conviction forte, forcez-vous à trouver 3 arguments qui la contredisent.
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Caroline P.




Super intéressant à lire
Merci, cela a permis de mettre un nom sur ce que l'on vit ou fait presque tous les jours. Dunning-Kruger, je le vois souvent au travail, maintenant je connais le nom !
Article très intéressant et très bien illustré par tous ces exemples "parlant". Ce cerveau, un vrai manipulateur !!!
Excellent cet article
C'est foù comme on croit agir en fonction de nos réflexions alors qu'on est manipulé par notre propre cerveau qui fait des raccourci dans tous les sens.